mercredi 23 mai 2012

Un avant-goût chilien?


J’avais annoncé un changement de plan pour la suite du voyage dans mon précédent billet, ça concernait mon itinéraire. En réalité, j’avais prévu de descendre le long de la côte argentine jusqu’à Ushuaia. Mais après en avoir discuté avec les gens sur place, je me suis rendu compte que à part la pampa désertique et un vent de face, j’allais pas trouver grand chose d’autre de folichon. J’ai donc décidé de descendre à 500km plus au sud et de croiser le pays vers l’ouest sur près de 400km, tout ça de façon motorisé, pour m’épargner deux semaines de vélo sur des routes à camions et sans paysage. Le plan était donc de continuer mon aventure sur la légendaire Ruta 40 qui traverse entièrement le pays du nord au sud, en longeant les Andes, sur plus de 5200km. J’avais envie de m’éclater la rétine contre les montagnes. Et puis la veille j’ai encore changé d’avis, ou plutôt je l’ai affiné. Quitte à longer les montagnes, pourquoi ne pas y aller carrément de l’intérieur ? J’ai donc décidé de me rendre au Chili…

Et ouais.


Carretera Austral 

Je suis donc toujours à Puerto Madryn à chercher une solution de : comment me faire transporter, moi, mon vélo et mes sacoches, sur plus de 900km à l’autre bout du pays. Je dois prendre deux bus pour rallier ma destination. Le premier m’amenant à Comodoro Rivadavia et l’autre croisant le pays jusqu’au village de Perito Moreno (qui n’a rien avoir avec le glacier). Le problème, c’est que le gars de la compagnie du premier bus me dit : « C’est un peu compliqué de prendre un vélo. Ça va te coûter le double et c’est pas sûr qu’il y ait de la place dans bus. On le mettra dans un autre mais ce sera pas forcément le même jour ». Donc on gros, ils veulent que je paie deux fois ma place et que j’abandonne mon vélo dans le terminal sans avoir la certitude de le retrouver un jour. Ha ha ha.

J’ai donc fait du pouce.

Je me rends de bon matin au bord de la Ruta 3, un peu nerveux quand même de devoir faire du pouce pour la première fois de ma vie, avec un vélo, dans un pays étranger et sur un autre continent. Je laisse passer quelques voitures avant de me lancer, lève le pouce fébrilement, et BAM ! La première camionnette qui passe s’arrête, embarque mon vélo et me déposera 500km plus loin, à Comodoro Rivadavia. C’est qui le boss ? Hein ? C’est qui ?

Mon chauffeur s’appelle Raoul. Au début il voulait me déposer au village suivant, à 60km, prétextant que comme c’était le véhicule de la compagnie, il n’avait pas le droit de transporter d’autre gens. Et puis comme j’ai réussi à le faire rire en moins de 20 minutes, il a accepté de faire tout le trajet avec moi.

Raoul, un camionneur sans camion.


Il était plutôt très bavard et en 4h de voiture, on peut s’en dire des choses. Maintenant je suis incollable sur les légendes des indiens du nord, sur la pèche à la ligne et sur les difficultés que peuvent rencontrer les chauffeurs poids lourd en Argentine en cas de forte chaleur. Une fois arrivé à la station de bus de la ville, je me procure sans problème un billet pour le bus du soir qui m’emmènera à Perito Moreno et le tout sans majoration de prix sur le vélo. Je me suis retrouvé en une seule journée, exactement là ou je voulais!

Comme je l’ai dit un peu plus haut, j’ai au dernier moment changé d’avis pour mon futur itinéraire. En regardant ma carte, j’ai réalisé que je n’étais qu’à 70km de la frontière et que je pouvais rejoindre facilement la Carretera Austral, véritable autoroute à cyclotouristes en été, zigzaguant entre les montagnes de la Patagonie chilienne et débouchant un peu plus bas en Argentine. J’en avais souvent entendu parler sauf que je prenais le risque, en cette saison, de me coltiner une semaine de pluie, ou pire, de rester coincé dans les montagnes à cause de la neige. Et puis je suis tombé par hasard sur le site météorologique de l’armée chilienne qui annonçait pas autant de pluie que ça et pas de neige non plus. Une petite semaine au Chili, c’est plutôt réjouissant non ?


En face, c'est le Chili.




En route pour la frontière, je tombe sur mes premiers cyclo ! Deux parisiens descendants vers Ushuaia depuis La Paz, finissant leur tour du monde de deux ans. On a discuté un moment au bord de la route et m’ont annoncé avec fracas que je ne pourrai pas descendre sur la Carretera Austral parce que les ferrys ne fonctionnent plus en cette saison. J’ai un peu déchanté sur le coup, mais j'ai continué quand même ma route.


Jean-Marc et Marie




Passage au poste de frontière argentin, 10 minutes de route et là… LE pays



Qu’on soit bien clair, à partir de maintenant, tous mes commentaires au sujet du Chili et de ses habitants sont purement SUBJECTIFS. Ben oui, le Chili, c’est quand même un peu mon pays.


Le passage de la frontière se fait sans problème et avec beaucoup d’émotion.

Non mais il claque ce pays quand même non?

Pis ce drapeau il est classe non? Même à contre-jour.


Je passe deux jours dans le village de Chile Chico pour m’habituer au nouvel accent et aux nouvelles expressions chiliennes. J’irai me renseigner directement auprès de l’armée au sujet des ferrys, parce qu’ils m’ont fait douter les deux bougres. Ils me confirment que oui, il y a bien des ferrys toute l’année !

Chile Chico


La Carretera Austral commence bien plus au nord depuis Puerto Montt jusqu'à Villa O'Higgins. Elle a été réalisé durant la dictature de Pinochet pour permettre de désenclaver la région sud du Chili qui n'était accessible que par voie maritime (ou par voie terrestre mais en passant par l'Argentine). Ce chemin est très prisé des touristes en été car il enchaîne les lacs, les parcs et les paysages de montagnes fabuleux. Il peut passer jusqu'à 10 cyclo par jour en haute saison.  Mais en mai, il y a personne. J'étais le seul touriste sur toute la route à profiter de la vue. Et entre nous, ce paysage, ça envoie du lourd :  











J'avoue avoir un peu galérer quand même. Cette route ça monte, ça descend, ça tourne, ça balance des moutons et des vaches dans tous les coins avec des mecs super classe sur leurs chevaux et pis des condors dans le ciel et aussi d’autres bestioles dont j’ignorais complètement l’existence… un vrai bonheur après 1 mois dans la pampa !








Un soir, alors que je m’apprêtais à dormir une énième fois sous tente, un vieux monsieur est venu me trouver. Il m’a dit : « Cette nuit, ils annoncent  -5°. Si tu restes là tu vas chier des glaçons alors viens chez moi, il me reste un lit. » Pour le coup je lui ai acheté une bouteille de vin et lui ai tenu compagnie toute la soirée. Je suis parti me coucher quand il a commencé à me parler sérieusement de la venue fréquente des ovnis au dessus de sa maison. Il était sympa ce monsieur George, un peu étrange quand même.


Monsieur George.





Et puis le jour tant attendu est finalement venu. C’est à Cochrane qu’il a commencé à neiger pour la première fois. La route, métamorphosée, était magique :





Sur le panneau : "Chaînes obligatoire"



Une journée en enfer

Le lendemain, je suis sensé rejoindre un ferry. Mais le problème, c’est que le dernier départ est prévu pour 15h et que j’ai peu de chance d’y arriver à temps. En plus de la météo pourrie et de la pluie battante qui ne semble pas vouloir s’arrêter (et que j’ai déjà supporté toute la nuit sous la tente), j’ai une forte douleur dans le genou qui m’oblige à descendre du vélo à chaque ascension. M’enfin, je me décourage pas et démarre la journée sous une trombe d’eau.



L’expression mouillé jusqu’aux os vous connaissez ? Ben là j’ai de l’eau à l’intérieur des os tellement je suis humidifié. En plus de ça il souffle, il fait froid, je suis fatigué de pousser le vélo, j’ai pris trop de retard pour choper mon ferry et maintenant que je suis au sommet d’un col, l’orage s’est transformé en tempête de neige. Super ! Les conditions sont tellement impossibles que ça en devient presque risible. Je me dis que de toute façon, rien de pire ne pourrait m’arriver… ha ha ha… non non, rien de pire. Quel pourcentage de chance j’avais d’avoir flingué mes 4 patins de freins et de m’en rendre compte qu’une fois arrivé au sommet du col ? Vous avez déjà essayé de retenir une charge de 50kg dans une descente de 10km ? C’est IMPOSSIBLE. J’étais donc là comme un con, au sommet de ce col, trempé jusqu’aux os, transit de froid, au milieu d’une tempête de neige, sans pouvoir descendre parce que mes freins étaient morts et sans pouvoir le faire à pied en retenant le vélo à cause de mon genou. En plus de ça, je savais que j’allais voir aucun véhicule parce que le ferry était déjà parti et que personne n’allait passer avant demain 12h. J’étais piégé. Bêtement. Sans rien pouvoir faire. C’est la première fois que j’ai vraiment désespéré. Je me suis assis au bord de la route après avoir hurlé toutes sortes d’insanités au monde. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là sans pouvoir réfléchir ni bouger mais ça m’a paru une éternité… Je prends finalement la décision d’abandonner le vélo sur place et de continuer à pied sac au dos. J’ai pas le choix, il commence à faire nuit. Je reviendrai le chercher plus tard.

Et puis là le miracle. Dans la bourrasque, j’aperçois des phares. C’est bien une camionnette ! Et de la police locale en plus. Je leur explique mon problème, ils se marrent, m’embarquent avec le vélo et me dépose gentiment au quai du ferry. J’ai jamais autant remercié un policier…

Tout content de pouvoir dormir sous l’abri du quai, je commence à déballer mes affaires et à me préparer pour la nuit. Elle s’annonce froide mais au moins, au sec. 20 minutes plus tard je vois le ferry revenir au quai pour débarquer les derniers passagers. Deux gars viennent me voir : « Tu vas vraiment dormir là ? Non non viens avec nous on a une cabane juste là en face. Tu vas chier des glaçons si tu restes là ».

J’ai passé ma soirée avec Claudio et Aristos, mangé une bouillie à base de riz et de pomme de terre délicieuse, suivi un cours spécial pour parler comme un vrai chilien et dormi à 2 centimètres du four à bois. Qui qui est chanceux ? Hein ? Qui ?


Claudio et Aristos, des jeunes qui n'en veux!


J’écris ce billet depuis Villa O’Higgins, qui signe la fin de la Carretera Austral. J’ai fait le dernier jour me séparant du village en stop vu que je ne peux rien faire sans frein. Je vais prendre quelque jours pour réparer le vélo et trouver par quel endroit sortir du Chili. C’est un peu compliqué en ce moment parce qu’ils ferment certaines frontières avec l’Argentine à cause de la neige. A voir donc. Mon aventure hivernal jusqu’à Ushuaia n’est pas prête de se terminer !

Histoires brèves

A Chile Chico, premier village au Chili, le bancomat était en réparation depuis plus d’un mois. Impossible donc de retirer des pesos. En discutant de ça avec la gérante d’un petit commerce, elle me dit que je pourrai peut être acheter des pesos chiliens avec des pesos argentins par le biais d’un ami d’un gars qui travaille dans les impôts. Comme c’est pas trop légal de faire ça, je dois passer par 3 intermédiaires. Je les ai eu mes pesos finalement... Et sans me faire avoir. Quelle histoire pour juste 50 CHF !

Je croise tout une série d’animaux sur ma route mais je les prends rarement en photo pour deux raisons. La première c’est qu’ils ont tendance à se barrer quand j’arrive et la deuxième c’est que j’ai pas un zoom de ouf avec mon appareil photo. J’en ai déjà vu de chaque espèce écrasé sur la route mais j’imagine que de les prendre en photos devient moins attrayant non ?

J’ai encore perdu des trucs en chemin. Cette fois c’est mon chargeur solaire. Je me demande si un jour je vais réussir à perdre mon vélo.

Claudio et Aristos, les deux gars de la cabane, travaillent de l’autre côté du lac. Comme le ferry ne fait que deux passages, un à 12h et un à 16h, et que le trajet dure 45 minutes, ils ne peuvent travailler que 3h par jour. Sympa le boulot...

J’ai trouvé des nouveaux freins. Pas dans un magasin de vélo puisque qu’il n’y en a pas, mais sur un vieux vélo d'un enfant de 6 ans. Yeah !


En patagonie chilienne, la phrase qu'on voit partout c'est : Patagonia, sin represas! Qui signifie Patagonie sans barrages! Il y a en ce moment un grand projet de construction de 5 barrages sur toute la région de l'Aysen. Les patagons y sont fortement opposés car ça va complètement modifier leur environnement et parce que c'est le projet d'entreprises étrangères (dont la Suisse). En plus de ça, l'électricité produite sera destiné pour le centre (Santiago) et pour l'Argentine. Déjà qu'ils paient l'électricité la plus chère du pays, ils ont un peu l'impression de passer pour des cons.

Y a un mec, il aimait tellement le maté qu'il en a fait une maison :




Prochain billet, bientôt ! Plus au sud ! Plus froid ! Plus fou !







TCHO







2 commentaires:

  1. Bien content de te savoir sur la carretera austral malgre le froid. Mais bon mieux vaut ca que la ruta 3 non ?
    Nous sommes desormais en Valais et avons raccroche les velos pour un moment, alors a ton tour de nous faire rêver. Ton blog est cool et tres bien ecrit.
    Suerte y que le vaya bien.
    Doris y Tof

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  2. On veut les cadavres routiers! Tu pourrais récupérer les pattes et en faire des gris-gris, lors des jours pluvieux uniquement bien sûr. Admirables ces papiers virtuelles, quel style et quel aplomb, qui l'eut cru. ^^

    PS: Je suis allez voir Prometheus, j'y ai pris mon tableau que j'ai renommé Christobal. Tu as kiffé!

    Love

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