vendredi 27 avril 2012

Premiers tours de roue


J’écris ce billet depuis la ville portuaire de Bahia Blanca, première étape de repos après les 11 premiers jours de vélo. Pas encore de vidéo pour ce billet mais pleins de photos et d’histoires à raconter !

On est le samedi 14 avril, jour J. Il est 12h et je me réveille avec une gueule de bois terrible. L’ultime fête de départ de la veille m’a tenu éveillé jusqu’ à 6h du matin. D’accord, c’est pas les meilleurs conditions pour commencer un voyage, mais peu importe. Il faut que je sorte de Buenos Aires aujourd’hui ! Je prépare mes affaires tranquillement, bois un dernier maté avec Fran chez qui j’ai dormi, fais un petit tour de quartier avec le vélo (à vide) pour voir si tout va bien, charge la mule et écoute religieusement les derniers conseils de mon hôte. « Surtout ne prend pas la route 3 pour sortir de Buenos Aires, elle traverse la banlieue et tu ne vas pas en sortir vivant ! Et pis tu m’appelles ce soir quand t’es arrivé. Et surtout ne t’arrête pas dans la banlieue, c’est dangereux ». On fait quelques photos pour immortaliser le moment et on se dit adieux pour la dernière fois. Cette fois ça y est. Je suis en selle. Je roule.

Nigaud sur la ligne de départ
Fran




Les premières minutes, la sensation de liberté est totale. Il fait beau, il n’y a personne dans les rues, la gueule de bois me passe gentiment et je pédale sans effort. Puis je m’engouffre dans une avenue très fréquentée... Entre nous, cette journée, c’était pas de la tarte.

Pour commencer, après une heure à slalomer dans le trafic de la périphérie, je me fais pister par une meute de chiens qui en avaient visiblement après mes mollets. Normalement, le bon sens voudrait que je m’arrête, descende du vélo et leur fasse peur avec des pierres ou un bout de bois. Ça c’est pour la théorie. Mais quand ils sont cinq, enragés et les crocs de la longueur d’une main, c’est l’instinct de survie qui prime. Et l’instinct de survie il a tendance à te dire « Tiens voilà un peu d’adrénaline, maintenant barre toi ! Vite ! » Du coup j’accélère, me mets en position de danseuse qui me permet d’envoyer des coups de pieds dans la gueule de mes poursuivants qui manque de peu de me croquer un bout de jambe et finalement, au bout d’un kilomètre (et un kilomètre c’est long) ils abandonnent la chasse. J’ai une condition physique olympienne.  Je souffle un peu, ou plutôt crache mes poumons, me dit « cool, j’ai ma première histoire pour le blog ! », remonte sur le vélo et jette un coup d’œil au rétro juste au cas où. Je vois avec horreur un énorme bus rouge qui m’arrive droit dessus à pleine vitesse. Je braque sur la droite pour l’éviter et croche le vélo contre le trottoir qui a pour effet d’arracher la sangle de la pédale. Ça fait moins de 2 heures que j’ai commencé ce voyage…
Et je suis toujours en vie.

Le reste de la journée sera plus calme. Bon, j’ai quand même réussi à me perdre et à devoir emprunter la route 3 mais si non je suis sorti de la ville sans encombre. J’arrive finalement de nuit à Canuelas, extenué par ce pique de sportivité.
  
Le jour suivant va me plonger dans un paysage qui ne va pas me quitter durant 10 jours : champs, bosquets, route droite, champs et champs.





Y a pire comme première nuit sous tente.




Au 3ème, jour je suis sensé faire 90 kilomètres pour rallier Lobos à Saladillo. Mais mon corps il m’a rappelé que j’étais pas sportif  pour un sous et que c’était pas maintenant que j’allais faire des étapes de ouf. Je me retrouve donc le soir à 20 kilomètres de la ville, fatigué, sans eau et au milieu de nulle part. Je suis préparé à passer la nuit en camping sauvage mais sans eau pour boire et cuisiner, ça devient vite pénible. Je m’arrête donc dans une ferme pour remplir mes bouteilles où un vieux monsieur sans dent m’accueil. On discute un peu, je lui demande s’il y a un lieu près d’ici où je peux poser ma tente. « Oui regarde juste à 1 km là, tu peux aller chez le gauchito Gil. C’est un lieu très beau et tu y seras en sécurité ». Je remonte donc sur le vélo mais j’ai un doute. Est-ce qu’il m’a dit d’aller chez un mec qui s’appelle Gil ? Pourtant ça me dit quelque chose ce nom. Gauchito Gil…

Gauchito Gil

Le Gauchito Gil est un saint en Argentine. Il est sensé protéger les voyageurs des dangers de la route. C’est un peu le Saint-Christophe local. Tout au long des chemins il y a des petits sanctuaires rouges. La tradition veut que les gens accrochent un bandeau rouge à leur véhicule et  laissent en offrande quelque chose de rouge dans les petits sanctuaires. C’est souvent des bouteilles de bières ou des cigarettes. Pour remercier le saint, les conducteurs klaxonnent souvent 3 fois en passant devant. Alors oui c’était un joli lieu pour dormir, mais un peu bruyant quand même…





Bénédiction de Fran sous ma selle.


Le jour suivant devait être un jour merdique. J’étais sensé continuer un bon bout sur une route provinciale dangereuse avant de rejoindre un chemin tranquille de campagne. Il faut savoir que si une voiture ou un camion dépasse un autre camion, ou que deux camions se croisent à ma hauteur, ça ne me laisse aucune chance sur la route et je dois me rabattre dans l’herbe. Et forcément la loi de Murphy veut que les camions se croisent TOUJOURS à ma hauteur.  C’est moralement fatiguant car je dois constamment garder un œil sur mon rétro et toujours éviter la collision en braquant le guidon sur le côté, qui a pour effet de me faire perdre tout mon élan et de me secouer dans tous les sens.

Le coup de la « mourchette »

Une fois à Saladillo, j’ai pour seul objectif de la journée de me procurer une fourchette. Je m’arrête dans un supermarché mais n’en trouve pas. Je demande au gars du magasin : « Vous n’avez pas de mourchettes? » (fourchette en espagnol c’est « tenedor » mais j’arrive jamais à m’en rappeler et dans ma bouche ça sonne plutôt comme « contendor » ). Après mes gestes dans tout les sens le gars me comprend et m’envoie dans un autre commerce un peu plus loin. En chemin, un type en moto roule a ma hauteur et me crie : « Tu viens d’où ? T’as besoin d’une douche ? D’un maté ? Ma maison est juste là à droite. Suis-moi ! ». Le type c’est Norberto et je passerai la moitié de l’après midi avec lui et sa famille.

Noberto, c'est celui du milieu. Au cas où.


Norberto travail dans la construction et vit depuis toujours à Saladillo. Sa fille m’explique que c’est rarissime que des étrangers passent en ville. Alors quand ils en voient, ils en profitent au maximum. J’ai eu le droit à la séance photo, la présentation aux voisins et au téléphone d’une journaliste pour passer dans leur journal régional. Finalement cette journée n’aura pas été aussi merdique que ça. Et en plus je quitte la ville avec un cadeau de taille : une fourchette !


LA fourchette


Je continue ma route jusqu’à Azul ou je m’y repose 2 jours. Au camping je fais la connaissance de Juan-Pedro, un vieux monsieur à 3 dents qui voyage aussi jusqu’ à Ushuaia mais en faisant du pouce. Il fait ce voyage 2 fois par ans pour se « vivifier l’esprit ». Il me donne de précieux conseils pour la suite du voyage et ira même jusqu’à enregistrer un monologue de 45 minutes sur mon téléphone au sujet des routes, de l’architecture et des stations services que je vais rencontrer avant le bout du monde. Et puis il m’a aussi dit: « Tu sais, tu vas devoir faire plus de 1000 km pour traverser le nord de la Patagonie et le paysage ne changera pas. C’est un désert de pierres et il n’y a rien. Ni montagnes, ni lacs, ni villes. Absolument rien. En vélo ça te prendra 2 semaines. En camion 10 heures. Réfléchis bien. »








Et c'est toute la journée comme ça.



En sortant d’Azul, pour la première fois le vent s’est levé. Il a fait baisser la température de 10° degré en une seule journée. Là j’ai vraiment galéré. Je n’étais pas préparé à affronter le vent si vite, ni le froid d’ailleurs. Il ne souffle pas très fort mais il est constant et surtout, de face. Le véritable problème arrive au moment ou je croise des camions. L’aspiration d’air qu’ils trainent derrière eux a pour effet de me balancer un mur de vent qui bien souvent me stop net sur la route. Plusieurs fois dans la journée j’hésite à sauter dans un pick-up pour rallier mon étape du soir. Et puis non ! C’est toi qui l’as voulu ce voyage alors tu serres les dents mon petit Cristobal et hop hop hop tu te motives.


Azul






C’est la dernière journée avant Bahia Blanca qui aura été la plus marquante. Vent dans le dos, paysage désertique, du RELIEF, des perroquets verts sortis de nul part, des gens sympathique et mine de rien, 130 kilomètre d’une traite. C’est pas si mal le vélo finalement…







Coronel Pringles


Du relief.



Histoires brève

- Les stations services, c’est toujours un peu l’occasion de faire la fête. Comme les distances sont longues entre les villes, c’est un point de rencontre important. Elles ont souvent des douches, un restaurant, des canapés et un supermarché. Et comme la moitié des chauffeurs présents m’ont croisé sur la route, j’ai toujours le droit à 26 milles questions.

- Il neige depuis un mois à Ushuaia. Ha ha ha.                                                                      Merde.

-Un jour que je me détendais dans une super station service de luxe, un monsieur, la quarantaine, est venu vers moi et m’a demandé si j’avais besoin de quelque chose. Je réponds par la négative et il me dit d’un air préoccupé :  « Je t’ai croisé sur la route ce matin,  je t’ai frôlé de près. Alors au nom de tout les camionneurs, je tiens à m’excuser parce qu’ici nous n’avons lamentablement pas le respect pour le cycliste sur la route. Si tu as un problème, voici mon numéro de téléphone et mon adresse. Tu es le bienvenue chez moi si besoin ! »

- J’ai mal aux jambes.

- En arrivant à l’office de tourisme de Lobos, la dame de la réception m’a dit « C’est trop génial ce que tu fais, attends j’appelle les gens de la radio, ils viendront te voir cet après midi au camping ». La radio est venue. Mais moi, je dormais.

- Après les glaçons dans le vin blanc, j’ai vu à plusieurs reprises des gens mettre des glaçons dans du vin rouge. Du vin ROUGE.

- Je me suis retrouvé un après midi avec une bande de 15 motards. Du genre moustache, gros bidon et tatouages. Ils hallucinaient que j’aille jusqu’à Ushuaia en vélo. Ils m’ont dit : « Toi t’es un héros. Quand tu seras en terre de feu et que tu as des problèmes, contacte les Lobos de Tiera del Fuego, ils viendront toujours t’aider. » Yeah, rock and roll nene !

- Demander une direction ou une distance à quelqu'un c’est une loterie. La personne va de toute façon te répondre quelque chose même si c’est pas du tout ça. Si je demande mon chemin et que le gars en face réfléchi plus de 3 secondes, je suis foutu.


- Au kilomètre 347.29 j'ai perdu la pièce sur la roue qui permet de calculer les distances et ma vitesse. Comme cette pièce est introuvable ici sans remplacer totalement mon systeme de compteur j'ai décider de pas la remplacer. Tant pis pour l'affichage 10'000km au bout d'une année. Le point positif c'est que je ne désespère plus quand je vois affiché "7km/h" et que je donne déjà tout ce que j'ai.


Sur l'autoroute, le panneau il dit non. Mais la police elle, elle dit oui.


On se quitte avec un peu de Bahia Blanca :









Voilà c’est tout pour aujourd’hui. Prochaine grande étape : Puerto Madryn !




TCHO