vendredi 18 juillet 2014

L'histoire d'un retour (Partie 1)



Je n’ai jamais prévu de rester longtemps dans les Caraïbes. La plage, c’est sympa. Mais entre nous, on s’y emmerde rapidement. Le 10 mars, j’ai décidé de rentrer. Et pas n’importe comment :  L’idée d’un retour en avion, ou de faire autant de kilomètres en une nuit que j’ai durement parcouru en deux ans à vélo, n’a jamais fait partie de mes plans. J’avais pas envie qu’on vienne m’accueillir à l’aéroport avec des banderoles et une fanfare. Tout ça n’était pas digne d’une fin d’aventure du désormais célèbre Capitaine Cris. Il me fallait quelque chose d’autre, quelque chose de plus… excitant.


Le plan était donc tout trouvé : Traverser l’océan en voilier et faire de mon retour, une surprise !

Mais revenons un peu en arrière, parce que mine de rien, ça fait 4 mois que je vous ai pas donné de mes nouvelles. (Alors oui ça va hein, c’est mon blog, je fais ce que je veux !) Dans mon dernier billet, je vous avez laissé sur l’île de Margarita, au Venezuela. Depuis là, je pensais pouvoir faire du bateau-stop pour monter en Guadeloupe ou en Martinique. La Guadeloupe et la Martinique étant des îles idéales afin de trouver un bateau pour une transatlantique. Mais avant d’aller plus loin, qu’est-ce que le bateau-stop ?


Le bateau-stop consiste à faire du stop comme en voiture, mais avec un voilier. Alors non, il ne suffit pas d’attendre dans un port, le pouce levé, pour espérer que quelqu'un vous embarque. Mais l’idée est bien là. En général, il faut se rendre dans les capitaineries, dans les bars de marins ou simplement trainer sur les quais pour trouver son bonheur. C’est possible aussi de trouver un bateau sur des sites spécialisés de bourse aux équipiers, comme par exemple : stw.fr

Pour traverser un océan, l’océan atlantique en tout cas, les capitaines de petits voiliers (2 à 5 personnes) cherchent souvent un équipage pour l’aider à retourner en Europe, avant la saison des ouragans. L’aide à bord peut varier d’un bateau à un autre, ça dépend du capitaine. En général ça consiste à participer aux quarts de nuits, à nettoyer le bateau ou à cuisiner… ou les 3. Il faut rajouter à cela une petite somme participative aux frais d’entretient et taxes de ports qui, encore une fois, dépendront du capitaine. Le plan est donc simple, il me faut me rendre en Guadeloupe ou en Martinique pour trouver un capitaine français qui rentre chez lui.

Oui mais voilà, c’est pas si facile que ça…

La maison que je squatte à Margarita.

Et la vue est pas vilaine...


Je suis donc toujours à Margarita, à la recherche d’un moyen de quitter l’île. La situation compliquée du pays vous la connaissez déjà, ça n’aide en rien mes recherches. Pourtant je sais que certains pêcheurs d’ici se rendent dans les îles françaises pour vendre leurs poissons, c’est donc les premiers auxquels je m’adresse.




Alors en effet ils s’y rendent, mais pour que quelqu'un m’y emmène, c’est tout bonnement impossible. Pourquoi ? Parce que ces gars ne transitent pas seulement des poissons, mais d’autres produits illicites qui peuvent te coûter quelques années de prison. L’idée de me retrouver sur un bateau rempli de cocaïne ne me réjouissant pas plus que ça, je tente ma chance du côté des voiliers de plaisance. Là encore c’est un échec. Si il y a 10 ans, âge d’or du tourisme sur l’île, on pouvait enregistrer jusqu’à 10 entrées et sorties de voiliers par jour, ce nombre s’est réduit à 1 seul, en trois mois. Je n’apprendrai que plus tard que le nombre de capitaines tués et les complications exagérées qu’impose l’administration socialiste ces dernières années à définitivement rayé cette île des destinations touristiques pour les marins. Margarita est un cul de sac. Il m’aura fallu 3 semaines sur place pour m’en rendre compte.



Quitter le pays par la mer est donc impossible. Je peux bien tenter ma chance du côté du ferry pour Trinidad et Tobago mais je ne suis pas très séduit par l’idée. Les prix sont trop élevés et la réputation de Trinidad trop sulfureuse pour que j’y débarque avec mon petit vélo. J’appelle donc la mère d’Ana Carina à Caracas pour lui demander asile le temps de trouver une autre solution. Elle m’accueillera une fois de plus, comme son fils.

Prof de vélo pour la soeur d'Ana

Et petite fondue pour marquer le coup !


La situation dans la capitale a évidemment empirée. Les confrontations se font toujours plus nombreuses  et plus violentes. L’ambassade allemande rapatrie ses compatriotes deux jours avant mon arrivée, c’est pour dire si les choses ne sont pas folichonnes. Après réflexion, je prends la décision de quitter le pays en avion pour l’île hollandaise de Curaçao, toute proche des côtes. Adelis, le copain vénézuélien est originaire de là-bas, il a ses parents qui y vivent. J’ai donc un parfait point de chute.

Il m’aura fallu près d’une semaine pour acheter les billets d’avion. Entre le refus de m’en vendre sous prétexte que je suis étranger et les nombreuses manifestations quotidiennes, la sortie du Venezuela se fera un peu dans la douleur, mais entier.

Une fois à Curaçao c’est le choc. Curaçao c’est l’Europe, c’est la Hollande. Du coup c’est riche, c’est beau, c’est propre. Il n’y a pas de trous dans les routes, pas de grillages autour des maisons, les gens ne klaxonnent pas en voiture et personne ne pointe d’arme sur personne. Ça sent vraiment les vacances ici. En plus de ça il y a des blondes ! C’est intriguant une blonde, quand on n’en a pas vu depuis des mois. C’est même plutôt joli.

Curaçao

Je reste à Curaçao une petite semaine avec la famille d’Adelis. Je partirai une fois de plus en avion, pour la seconde île Hollandaise des Caraïbes : St-Maarten. Deux particularités de l’île m’intéressent vivement. La première, c’est une île moitié française (Saint-Martin). La seconde, c’est généralement le point de départ de beaucoup de voilier en partance pour l’Europe. Se situant bien au nord, elle fait d’elle le dernier point de ravitaillement avant la grande traversée. La veille de mon départ je consulte les annonces d’embarquement depuis St-Martin et je tombe par hasard sur celui d’un capitaine Belge, qui part dans 4 jours. Après deux échanges rapide de mails, on se donne rendez-vous le lendemain dans l’après midi.

Le voyage pour Saint-Martin est un peu compliqué. Comme mon vélo est seulement emballé dans du cellophane, ils acceptent difficilement de le prendre. En plus de ça, ils veulent me faire payer une taxe spéciale, sous prétexte que le vélo est neuf et que je vais surement aller le revendre ailleurs. (Ben oui !) Je me suis surpris à crier sur les deux gorilles de la douane qui voulait me taxer inutilement. Je ne sais pas si c’est mon assurance désormais toute sud-américaine ou si c’est mon incapacité à aligner deux mots en anglais correctement qui les ont impressionnés, mais finalement, j’ai rien payé.

Une fois à Saint-Martin je vais voir le fameux capitaine Belge. Il s’appelle Baart, il est d’Antwerpen et parle français avec un accent rigolo. Ça fait deux ans qu’il a quitté le plat pays pour les Caraïbes. Comme moi, il a envie de rentrer au pays pour retrouver sa famille et ses amis. On discute un moment au bar, il répond positivement à ma demande d’embarquer le vélo avec nous et on se donne rendez-vous deux jours plus tard pour une première sortie en mer. C’est juste pour voir si j’ai pas le mal de mer et si j’ai toujours envie de passer le prochain mois au milieu de l’océan. En attendant, je joue le vagabond dans le Saint-Tropez des Caraïbes.

(la malheureuse nouvelle c'est que j'ai perdu ma caméra dans une expédition plongée à Saint-Martin. J'ai perdu pas mal de photos. Il y a eu une grosse vague. J'avais le choix entre lâcher ma caméra deux secondes ou perdre ma jambe sur la colonie d'oursins contre les récifs. Je n'ai jamais retrouvé ma GoPro. Snif)

Si non St-Martin c'est aussi connu pour ça.

La première sortie en mer se passe bien. Suite à cette toute première expérience, il accepte de me prendre pour la traversée. La mauvaise nouvelle c’est qu’on est obligé d’attendre une autre mousse qui ne viendra que dans deux semaines. Moi j’avais choisi ce gars là parce qu’il partait dans 4 jours, pas dans deux semaines. Du coup j’hésite un peu. Ma condition de clodo (parce que tout est très cher et parce que je n’ai plus du tout d’argent) me donne pas très envie de dormir sur les plages deux semaines de plus.

Sauf que Capitaine Baart c’est un bon gars. Il m’invite à vivre à bord de son bateau le temps que la dernière passagère arrive. J’accepte, sans aucune hésitation ! Me voilà propulsé dans le monde bourgeois et complètement cool des navigateurs du monde.

Ma maison ces prochaines semaines : Le "Maeva"


bbq cool

chemise cool

ambiance cool


Cris cool

blonde cool

chien cool


La grande traversée 

Le jour J est enfin arrivé. Après avoir dévalisé le centre commercial de ses conserves et de son pain précuit, on lève l’ancre. Littéralement.

Emotion infiniment jouissive quand les voiles se mettent en branle et qu’on sait qu’on ne remettra pas le pied à terre pendant les 3 prochaines semaines.

Le dernier bout de terre

L'émotion jouissive

Deux capitaines de légende

Carnique, la mousse de légende (qui est pas à son avantage pour le coup)


Comme en mer chaque jour se ressemble, je vais vous raconter comment se passe une journée type sur un voilier transatlantique, sous forme de journal épique :

07:03
Je me réveille péniblement. La nuit à été très mouvementée et le claquement des vagues contre la coque m’a empêché de dormir. En plus de ça je n’ai pas bien attaché mon vélo dans ma cabine et avec la forte houle, il m’est tombé dessus.
Je prépare le café pour le capitaine et pour Carnique, qui est réveillée depuis 3h du matin sur le pont, pour effectuer son quart de nuit.

Ma cabine


08:11
On déjeune comme on peut. Le bateau étant incliné à 90 degrés, tout devient exagérément difficile. Le café s’est renversé. Pour une fois, ce n’est pas moi.




09:12
Je repars au lit, il y a rien à faire de toute façon.
Le capitaine passera plus de deux heures sur sa radio et son ordinateur pour analyser les prévisions météo.





11:00
Je monte sur le pont pour discuter avec mes compagnons de route. Ça parle anglais, autant dire que je ne fais pas tellement le malin, surtout depuis qu’un touriste à St-Martin m’a demandé si j’étais espagnol quand je lui parlais en anglais.
La mer est redevenue extrêmement calme. Pas un pet de vent à l’horizon. Le capitaine décide de démarrer le moteur à contrecœur. On ne peut pas se permettre de rater le courant d’air chaud qui soufflera un peu plus tard au nord.





11:20
Je prépare le dîner. C’est moi le cuisinier à bord. Je suis visiblement bien plus doué que mes deux autres camarades. Au programme aujourd’hui : lasagnes au thon

12:07
Repas ensoleillé. La mer est calme.

12:17
Un supertanker pointe à l’horizon. C’est l’occasion de sortir les jumelles et de voir quelque chose.

12:45
Le capitaine à le sourire. Le vent est revenu, on avance !
Un oiseau est apparu dans le ciel, une fois de plus. Tous les jours nous avons le droit au ballet d’un oiseau différent. Ça n’a pas de sens, nous sommes à des milliers de kilomètres des terres.





13:35
Les trois prochaines heures sont consacrées à la lecture et à l’écriture. Je passe beaucoup de temps à écrire depuis que je suis sur le bateau. Les tentations électroniques étant inexistantes, on en revient à la feuille de papier et au crayon.





15:22
Carnique pousse des cris hystérique à l’avant du pont, il n’y a pas de doute, la bande de dauphins que nous avons aperçu hier nous a suivit aujourd’hui. Ils restent pour jouer un moment à l’avant du bateau puis changent de direction sans aucune raison apparente.




16:02
J’apprends les paroles de « la cucaracha » au capitaine. Il m’apprend les accords à la guitare.



17:14
Sundowner (crépuscule, moment de la journée pour l’apéro)
Le capitaine s’est spécialisé dans la confection de cocktail exotique. Une fois de plus, il nous fera découvrir de nouvelles saveurs. Une fois de plus, on verra le coucher de soleil bien éméché.






17:59
Coucher de soleil exceptionnel. Nous avons eu la chance de voir le GreenFlash (flash vert). En plein océan, lorsque toutes les conditions sont réunies, les trois dernières secondes de soleil se transforment en un vert brillant surnaturel. Je pensais que c’était une légende marine, j’ai eu la preuve du contraire.

On est donc d'accord, c'est pas le GreenFlash là...


18:30
J’ai fini de préparer le souper. Ce soir c’est conserve de cassoulet.

19:01
Carnique prend le premier quart de nuit. Je pars me coucher pendant que le capitaine note les dernières infos météo.

22:23
Le vent s’est levé, le bateau fait des pointes à 20 nœuds. Le bruit dans la coque est assourdissant.



23:00
Carnique vient toquer à ma porte de cabine, c’est mon tour de prendre la garde.

23:05
Elle me brief sur les conditions météo et sur la démarche à suivre en cas de trop fortes rafales de vent.  Elle me prévient aussi du passage dans 3 heures d’un supertanker dans notre direction.

GPS et pilote automatique.


00:27
Je suis seul sur le pont, dans la nuit. Le passage des satellites dans le ciel est particulièrement fascinant.
A l’arrière du bateau, le plancton s’illumine au passage du bateau, une traînée lumineuse et magique prend forme sur notre sillage.

01:00
Je vérifie le compas et les instruments de mesure.

01:30
Rien à signaler. Il fait froid.

02:00
Le supertanker est effectivement à vu. On peut apercevoir ses lumières au loin. Il change sa direction pour éviter le danger. En mer se sont les bateaux à voiles qui ont la priorité.

02:17
Le vent est trop fort, il risque de déchirer la voile. Les fortes secousses réveillent le capitaine et nous oblige à descendre le génois (voile avant) et mettre des renforts dans la voile principale.

03:00
C’est la fin de mon quart. Le capitaine prendra la suite jusqu’à 07 :00 du matin. Je pars me coucher.

07:03
Je me réveille péniblement. La nuit à été très mouvementée et le claquement des vagues contre la coque m’a empêché de dormir…


Et puis finalement le jour tant attendu est arrivé : « Terre ! Terre ! » que j’ai hurlé comme un babouin. On l’a fait, on a traversé l’océan ! Devant nous surgissent les majestueuses îles portugaises des Açores, et ça fait du bien de les voir.




Content

Cette traversée c’était un peu fou. Par chance je suis tombé sur des gens sympathique et je n’ai pas eu le mal de mer. C’était drôle de n’avoir aucun contact avec l’extérieur et de n’avoir aucun paysage. Etre au gouvernail de la bête et passer des vagues de 4-5 mètres procure des sensations indescriptibles. L’arrivée sur la terre s’est fait sans trop de souci, même si j’avais l’impression de peser une tonne. Après coup j’étais étonné à quel point l’herbe était verte et à quel point la terre sentait bon. Une expérience inoubliable, que je conseil à tout le monde. Aventurier ou non.

(pour info, ce voyage m'aura coûté 200.-. ça correspond au prix de l'eau et de la nourriture pour les 3 semaines à bord. C'est tout.)

Les Açores
Nous sommes donc arrivés dans les îles portugaises des Açores, passage obligé pour arriver en Europe. Le port est blindé de voilier et ça parle toute les langues du monde.


Place de parque

douane



On a profité du retour à la civilisation pour réparer le bateau, faire du tourisme et manger de la VIANDE !




Horta








Réparation du mat



Horta signe pour moi la fin de mes aventures maritimes après 1 mois et demi sur le « Maeva ». Le bateau restera un peu plus d'un mois sur l'île avec le capitaine. Comme je suis trop excité de rentrer, je fais mes adieux émus à mes deux amis et prends l'avion pour Paris. Sur le continent m’attendent les toutes dernières aventures de ce blog.



A la fin de l’été je vous raconterai comment j’ai berné tout le monde avec mon retour surprise, comment se passe mon retour en Suisse et je mettrai en ligne l’ultime vidéo des fabuleuses aventures de Cristobal à vélo ! Bon sang je me réjouis !