Je n’ai jamais prévu de rester longtemps dans les Caraïbes. La plage, c’est sympa. Mais entre nous, on s’y emmerde rapidement. Le 10 mars, j’ai décidé de rentrer. Et pas n’importe comment : L’idée d’un retour en avion, ou de faire autant de kilomètres en une nuit que j’ai durement parcouru en deux ans à vélo, n’a jamais fait partie de mes plans. J’avais pas envie qu’on vienne m’accueillir à l’aéroport avec des banderoles et une fanfare. Tout ça n’était pas digne d’une fin d’aventure du désormais célèbre Capitaine Cris. Il me fallait quelque chose d’autre, quelque chose de plus… excitant.
Mais revenons un peu en arrière, parce que mine de rien, ça
fait 4 mois que je vous ai pas donné de mes nouvelles. (Alors oui ça va hein, c’est
mon blog, je fais ce que je veux !) Dans mon dernier billet, je vous avez
laissé sur l’île de Margarita, au Venezuela. Depuis là, je pensais pouvoir
faire du bateau-stop pour monter en Guadeloupe ou en Martinique. La Guadeloupe
et la Martinique étant des îles idéales afin de trouver un bateau pour une
transatlantique. Mais avant d’aller plus loin, qu’est-ce que le
bateau-stop ?
Le bateau-stop consiste à faire du stop comme en voiture,
mais avec un voilier. Alors non, il ne suffit pas d’attendre dans un port, le
pouce levé, pour espérer que quelqu'un vous embarque. Mais l’idée est bien là.
En général, il faut se rendre dans les capitaineries, dans les bars de marins
ou simplement trainer sur les quais pour trouver son bonheur. C’est possible
aussi de trouver un bateau sur des sites spécialisés de bourse aux équipiers,
comme par exemple : stw.fr
Pour traverser un océan, l’océan atlantique en tout cas, les
capitaines de petits voiliers (2 à 5 personnes) cherchent souvent un équipage
pour l’aider à retourner en Europe, avant la saison des ouragans. L’aide à bord
peut varier d’un bateau à un autre, ça dépend du capitaine. En général ça
consiste à participer aux quarts de nuits, à nettoyer le bateau ou à cuisiner…
ou les 3. Il faut rajouter à cela une petite somme participative aux frais
d’entretient et taxes de ports qui, encore une fois, dépendront du capitaine.
Le plan est donc simple, il me faut me rendre en Guadeloupe ou en Martinique
pour trouver un capitaine français qui rentre chez lui.
Oui mais voilà, c’est pas si facile que ça…
Oui mais voilà, c’est pas si facile que ça…
La maison que je squatte à Margarita. |
Et la vue est pas vilaine... |
Je suis donc toujours à Margarita, à la recherche d’un moyen
de quitter l’île. La situation compliquée du pays vous la connaissez déjà, ça
n’aide en rien mes recherches. Pourtant je sais que certains pêcheurs d’ici se
rendent dans les îles françaises pour vendre leurs poissons, c’est donc les
premiers auxquels je m’adresse.
Alors en effet ils s’y rendent, mais pour que quelqu'un m’y emmène,
c’est tout bonnement impossible. Pourquoi ? Parce que ces gars ne
transitent pas seulement des poissons, mais d’autres produits illicites qui
peuvent te coûter quelques années de prison. L’idée de me retrouver sur un
bateau rempli de cocaïne ne me réjouissant pas plus que ça, je tente ma chance
du côté des voiliers de plaisance. Là encore c’est un échec. Si il y a 10 ans,
âge d’or du tourisme sur l’île, on pouvait enregistrer jusqu’à 10 entrées et
sorties de voiliers par jour, ce nombre s’est réduit à 1 seul, en trois mois.
Je n’apprendrai que plus tard que le nombre de capitaines tués et les complications
exagérées qu’impose l’administration socialiste ces dernières années à
définitivement rayé cette île des destinations touristiques pour les marins.
Margarita est un cul de sac. Il m’aura fallu 3 semaines sur place pour m’en
rendre compte.
Quitter le pays par la mer est donc impossible. Je peux bien
tenter ma chance du côté du ferry pour Trinidad et Tobago mais je ne suis pas
très séduit par l’idée. Les prix sont trop élevés et la réputation de Trinidad
trop sulfureuse pour que j’y débarque avec mon petit vélo. J’appelle donc la
mère d’Ana Carina à Caracas pour lui demander asile le temps de trouver une
autre solution. Elle m’accueillera une fois de plus, comme son fils.
Prof de vélo pour la soeur d'Ana |
Et petite fondue pour marquer le coup ! |
La situation dans la capitale a évidemment empirée. Les
confrontations se font toujours plus nombreuses
et plus violentes. L’ambassade allemande rapatrie ses compatriotes deux
jours avant mon arrivée, c’est pour dire si les choses ne sont pas folichonnes.
Après réflexion, je prends la décision de quitter le pays en avion pour l’île
hollandaise de Curaçao, toute proche des côtes. Adelis, le copain vénézuélien
est originaire de là-bas, il a ses parents qui y vivent. J’ai donc un parfait
point de chute.
Il m’aura fallu près d’une semaine pour acheter les billets
d’avion. Entre le refus de m’en vendre sous prétexte que je suis étranger et
les nombreuses manifestations quotidiennes, la sortie du Venezuela se fera un
peu dans la douleur, mais entier.
Une fois à Curaçao c’est le choc. Curaçao c’est l’Europe,
c’est la Hollande. Du coup c’est riche, c’est beau, c’est propre. Il n’y a pas
de trous dans les routes, pas de grillages autour des maisons, les gens ne
klaxonnent pas en voiture et personne ne pointe d’arme sur personne. Ça sent
vraiment les vacances ici. En plus de ça il y a des blondes ! C’est
intriguant une blonde, quand on n’en a pas vu depuis des mois. C’est même
plutôt joli.
Curaçao |
Je reste à Curaçao une petite semaine avec la famille
d’Adelis. Je partirai une fois de plus en avion, pour la seconde île
Hollandaise des Caraïbes : St-Maarten. Deux particularités de l’île
m’intéressent vivement. La première, c’est une île moitié française (Saint-Martin).
La seconde, c’est généralement le point de départ de beaucoup de voilier en
partance pour l’Europe. Se situant bien au nord, elle fait d’elle le dernier
point de ravitaillement avant la grande traversée. La veille de mon départ je
consulte les annonces d’embarquement depuis St-Martin et je tombe par hasard
sur celui d’un capitaine Belge, qui part dans 4 jours. Après deux échanges
rapide de mails, on se donne rendez-vous le lendemain dans l’après midi.
Le voyage pour Saint-Martin est un peu compliqué. Comme mon
vélo est seulement emballé dans du cellophane, ils acceptent difficilement de
le prendre. En plus de ça, ils veulent me faire payer une taxe spéciale, sous
prétexte que le vélo est neuf et que je vais surement aller le revendre
ailleurs. (Ben oui !) Je me suis surpris à crier sur les deux gorilles de
la douane qui voulait me taxer inutilement. Je ne sais pas si c’est mon
assurance désormais toute sud-américaine ou si c’est mon incapacité à aligner
deux mots en anglais correctement qui les ont impressionnés, mais finalement,
j’ai rien payé.
Une fois à Saint-Martin je vais voir le fameux capitaine
Belge. Il s’appelle Baart, il est d’Antwerpen et parle français avec un accent
rigolo. Ça fait deux ans qu’il a quitté le plat pays pour les Caraïbes. Comme
moi, il a envie de rentrer au pays pour retrouver sa famille et ses amis. On
discute un moment au bar, il répond positivement à ma demande d’embarquer le
vélo avec nous et on se donne rendez-vous deux jours plus tard pour une
première sortie en mer. C’est juste pour voir si j’ai pas le mal de mer et si
j’ai toujours envie de passer le prochain mois au milieu de l’océan. En attendant,
je joue le vagabond dans le Saint-Tropez des Caraïbes.
(la malheureuse nouvelle c'est que j'ai perdu ma caméra dans une expédition plongée à Saint-Martin. J'ai perdu pas mal de photos. Il y a eu une grosse vague. J'avais le choix entre lâcher ma caméra deux secondes ou perdre ma jambe sur la colonie d'oursins contre les récifs. Je n'ai jamais retrouvé ma GoPro. Snif)
Si non St-Martin c'est aussi connu pour ça.
La première sortie en mer se passe bien. Suite à cette toute
première expérience, il accepte de me prendre pour la traversée. La mauvaise
nouvelle c’est qu’on est obligé d’attendre une autre mousse qui ne viendra que
dans deux semaines. Moi j’avais choisi ce gars là parce qu’il partait dans 4
jours, pas dans deux semaines. Du coup j’hésite un peu. Ma condition de clodo
(parce que tout est très cher et parce que je n’ai plus du tout d’argent) me
donne pas très envie de dormir sur les plages deux semaines de plus.
Sauf que Capitaine Baart c’est un bon gars. Il m’invite à
vivre à bord de son bateau le temps que la dernière passagère arrive. J’accepte,
sans aucune hésitation ! Me voilà propulsé dans le monde bourgeois et complètement
cool des navigateurs du monde.
Ma maison ces prochaines semaines : Le "Maeva" |
bbq cool |
chemise cool |
ambiance cool |
Cris cool |
blonde cool |
chien cool |
La grande traversée
Le jour J est enfin arrivé. Après avoir dévalisé le centre
commercial de ses conserves et de son pain précuit, on lève l’ancre.
Littéralement.
Emotion infiniment jouissive quand les voiles se mettent en
branle et qu’on sait qu’on ne remettra pas le pied à terre pendant les 3
prochaines semaines.
Le dernier bout de terre |
L'émotion jouissive |
Deux capitaines de légende |
Carnique, la mousse de légende (qui est pas à son avantage pour le coup) |
Comme en mer chaque jour se ressemble, je vais vous raconter
comment se passe une journée type sur un voilier transatlantique, sous forme de
journal épique :
07:03
Je me réveille péniblement. La nuit à été très mouvementée
et le claquement des vagues contre la coque m’a empêché de dormir. En plus de
ça je n’ai pas bien attaché mon vélo dans ma cabine et avec la forte houle, il
m’est tombé dessus.
Je prépare le café pour le capitaine et pour Carnique, qui est réveillée depuis 3h du matin sur le pont, pour effectuer son quart de nuit.
Je prépare le café pour le capitaine et pour Carnique, qui est réveillée depuis 3h du matin sur le pont, pour effectuer son quart de nuit.
Ma cabine |
08:11
On déjeune comme on peut. Le bateau étant incliné à 90 degrés,
tout devient exagérément difficile. Le café s’est renversé. Pour une fois, ce n’est
pas moi.
09:12
Je repars au lit, il y a rien à faire de toute façon.
Le capitaine passera plus de deux heures sur sa radio et son
ordinateur pour analyser les prévisions météo.
Je monte sur le pont pour discuter avec mes compagnons de
route. Ça parle anglais, autant dire que je ne fais pas tellement le malin,
surtout depuis qu’un touriste à St-Martin m’a demandé si j’étais espagnol quand
je lui parlais en anglais.
La mer est redevenue extrêmement calme. Pas un pet de vent à
l’horizon. Le capitaine décide de démarrer le moteur à contrecœur. On ne peut
pas se permettre de rater le courant d’air chaud qui soufflera un peu plus tard
au nord.
11:20
Je prépare le dîner. C’est moi le cuisinier à bord. Je suis
visiblement bien plus doué que mes deux autres camarades. Au programme aujourd’hui :
lasagnes au thon
12:07
Repas ensoleillé. La mer est calme.
12:17
Un supertanker pointe à l’horizon. C’est l’occasion de
sortir les jumelles et de voir quelque chose.
12:45
Le capitaine à le sourire. Le vent est revenu, on avance !
Un oiseau est apparu dans le ciel, une fois de plus. Tous
les jours nous avons le droit au ballet d’un oiseau différent. Ça n’a pas de
sens, nous sommes à des milliers de kilomètres des terres.
Les trois prochaines heures sont consacrées à la lecture et
à l’écriture. Je passe beaucoup de temps à écrire depuis que je suis sur le bateau.
Les tentations électroniques étant inexistantes, on en revient à la feuille de
papier et au crayon.
15:22
Carnique pousse des cris hystérique à l’avant du pont, il n’y
a pas de doute, la bande de dauphins que nous avons aperçu hier nous a suivit
aujourd’hui. Ils restent pour jouer un moment à l’avant du bateau puis changent
de direction sans aucune raison apparente.
16:02
17:14
Sundowner (crépuscule, moment de la journée pour l’apéro)
Le capitaine s’est spécialisé dans la confection de cocktail
exotique. Une fois de plus, il nous fera découvrir de nouvelles saveurs. Une fois
de plus, on verra le coucher de soleil bien éméché.
17:59
Coucher de soleil exceptionnel. Nous avons eu la chance de
voir le GreenFlash (flash vert). En plein océan, lorsque toutes les conditions
sont réunies, les trois dernières secondes de soleil se transforment en un vert
brillant surnaturel. Je pensais que c’était une légende marine, j’ai eu la
preuve du contraire.
On est donc d'accord, c'est pas le GreenFlash là... |
18:30
J’ai fini de préparer le souper. Ce soir c’est conserve de
cassoulet.
19:01
Carnique prend le premier quart de nuit. Je pars me coucher
pendant que le capitaine note les dernières infos météo.
22:23
Le vent s’est levé, le bateau fait des pointes à 20 nœuds.
Le bruit dans la coque est assourdissant.
23:00
Carnique vient toquer à ma porte de cabine, c’est mon tour
de prendre la garde.
23:05
Elle me brief sur les conditions météo et sur la démarche à
suivre en cas de trop fortes rafales de vent.
Elle me prévient aussi du passage dans 3 heures d’un supertanker dans
notre direction.
GPS et pilote automatique. |
00:27
Je suis seul sur le pont, dans la nuit. Le passage des satellites
dans le ciel est particulièrement fascinant.
A l’arrière du bateau, le plancton s’illumine au passage du
bateau, une traînée lumineuse et magique prend forme sur notre sillage.
01:00
Je vérifie le compas et les instruments de mesure.
01:30
Rien à signaler. Il fait froid.
02:00
Le supertanker est effectivement à vu. On peut apercevoir ses
lumières au loin. Il change sa direction pour éviter le danger. En mer se sont
les bateaux à voiles qui ont la priorité.
02:17
Le vent est trop fort, il risque de déchirer la voile. Les
fortes secousses réveillent le capitaine et nous oblige à descendre le génois
(voile avant) et mettre des renforts dans la voile principale.
03:00
C’est la fin de mon quart. Le capitaine prendra la suite
jusqu’à 07 :00 du matin. Je pars me coucher.
07:03
Je me réveille péniblement. La nuit à été très mouvementée
et le claquement des vagues contre la coque m’a empêché de dormir…
Et puis finalement le jour tant attendu est arrivé : « Terre !
Terre ! » que j’ai hurlé comme un babouin. On l’a fait, on a
traversé l’océan ! Devant nous surgissent les majestueuses îles
portugaises des Açores, et ça fait du bien de les voir.
Content |
Cette traversée c’était un peu fou. Par chance je suis tombé
sur des gens sympathique et je n’ai pas eu le mal de mer. C’était drôle de n’avoir
aucun contact avec l’extérieur et de n’avoir aucun paysage. Etre au gouvernail de la bête et passer des vagues de 4-5 mètres procure des sensations indescriptibles. L’arrivée sur la
terre s’est fait sans trop de souci, même si j’avais l’impression de peser une
tonne. Après coup j’étais étonné à quel point l’herbe était verte et à quel
point la terre sentait bon. Une expérience inoubliable, que je conseil à tout
le monde. Aventurier ou non.
(pour info, ce voyage m'aura coûté 200.-. ça correspond au prix de l'eau et de la nourriture pour les 3 semaines à bord. C'est tout.)
(pour info, ce voyage m'aura coûté 200.-. ça correspond au prix de l'eau et de la nourriture pour les 3 semaines à bord. C'est tout.)
Les Açores
Nous sommes donc arrivés dans les îles portugaises des
Açores, passage obligé pour arriver en Europe. Le port est blindé de voilier et
ça parle toute les langues du monde.
Place de parque |
douane |
On a profité du retour à la civilisation pour réparer le bateau, faire du tourisme et manger de la VIANDE !
Horta |
Réparation du mat |
Horta signe pour moi la fin de mes aventures maritimes après
1 mois et demi sur le « Maeva ». Le bateau restera un peu plus d'un mois sur l'île avec le capitaine. Comme je suis trop excité de rentrer, je fais mes adieux émus à mes deux amis et prends l'avion pour Paris. Sur le
continent m’attendent les toutes dernières aventures de ce blog.