J’écris ce billet depuis la ville portuaire de Bahia Blanca,
première étape de repos après les 11 premiers jours de vélo. Pas encore de
vidéo pour ce billet mais pleins de photos et d’histoires à raconter !
On est le samedi 14 avril, jour J. Il est 12h et je me
réveille avec une gueule de bois terrible. L’ultime fête de départ de la veille
m’a tenu éveillé jusqu’ à 6h du matin. D’accord, c’est pas les meilleurs conditions
pour commencer un voyage, mais peu importe. Il faut que je sorte de Buenos
Aires aujourd’hui ! Je prépare mes affaires tranquillement, bois un
dernier maté avec Fran chez qui j’ai dormi, fais un petit tour de quartier avec
le vélo (à vide) pour voir si tout va bien, charge la mule et écoute religieusement
les derniers conseils de mon hôte. « Surtout ne prend pas la route 3 pour
sortir de Buenos Aires, elle traverse la banlieue et tu ne vas pas en sortir
vivant ! Et pis tu m’appelles ce soir quand t’es arrivé. Et surtout ne t’arrête
pas dans la banlieue, c’est dangereux ». On fait quelques photos pour
immortaliser le moment et on se dit adieux pour la dernière fois. Cette fois ça
y est. Je suis en selle. Je roule.
Nigaud sur la ligne de départ |
Fran |
Les premières minutes, la sensation de liberté est totale.
Il fait beau, il n’y a personne dans les rues, la gueule de bois me passe
gentiment et je pédale sans effort. Puis je m’engouffre dans une avenue très
fréquentée... Entre nous, cette journée, c’était pas de la tarte.
Pour commencer, après une heure à slalomer dans le trafic de
la périphérie, je me fais pister par une meute de chiens qui en avaient
visiblement après mes mollets. Normalement, le bon sens voudrait que je
m’arrête, descende du vélo et leur fasse peur avec des pierres ou un bout de
bois. Ça c’est pour la théorie. Mais quand ils sont cinq, enragés et les crocs
de la longueur d’une main, c’est l’instinct de survie qui prime. Et l’instinct
de survie il a tendance à te dire « Tiens voilà un peu d’adrénaline,
maintenant barre toi ! Vite ! » Du coup j’accélère, me mets en
position de danseuse qui me permet d’envoyer des coups de pieds dans la gueule
de mes poursuivants qui manque de peu de me croquer un bout de jambe et
finalement, au bout d’un kilomètre (et un kilomètre c’est long) ils abandonnent
la chasse. J’ai une condition physique olympienne. Je souffle un peu, ou plutôt crache mes
poumons, me dit « cool, j’ai ma première histoire pour le blog ! »,
remonte sur le vélo et jette un coup d’œil au rétro juste au cas où. Je vois
avec horreur un énorme bus rouge qui m’arrive droit dessus à pleine vitesse. Je
braque sur la droite pour l’éviter et croche le vélo contre le trottoir qui a
pour effet d’arracher la sangle de la pédale. Ça fait moins de 2 heures que
j’ai commencé ce voyage…
Et je suis toujours en vie.
Le reste de la journée sera plus calme. Bon, j’ai quand même
réussi à me perdre et à devoir emprunter la route 3 mais si non je suis sorti
de la ville sans encombre. J’arrive finalement de nuit à Canuelas, extenué par
ce pique de sportivité.
Le jour suivant va me plonger dans un paysage qui ne va pas
me quitter durant 10 jours : champs, bosquets, route droite, champs et
champs.
Y a pire comme première nuit sous tente. |
Au 3ème, jour je suis sensé faire 90 kilomètres pour rallier
Lobos à Saladillo. Mais mon corps il m’a rappelé que j’étais pas sportif pour un sous et que c’était pas maintenant
que j’allais faire des étapes de ouf. Je me retrouve donc le soir à 20 kilomètres
de la ville, fatigué, sans eau et au milieu de nulle part. Je suis préparé à
passer la nuit en camping sauvage mais sans eau pour boire et cuisiner, ça
devient vite pénible. Je m’arrête donc dans une ferme pour remplir mes bouteilles
où un vieux monsieur sans dent m’accueil. On discute un peu, je lui demande
s’il y a un lieu près d’ici où je peux poser ma tente. « Oui regarde juste
à 1 km là, tu peux aller chez le gauchito Gil. C’est un lieu très beau et tu y
seras en sécurité ». Je remonte donc sur le vélo mais j’ai un doute.
Est-ce qu’il m’a dit d’aller chez un mec qui s’appelle Gil ? Pourtant ça
me dit quelque chose ce nom. Gauchito Gil…
Gauchito Gil
Le Gauchito Gil est un saint en Argentine. Il est sensé
protéger les voyageurs des dangers de la route. C’est un peu le Saint-Christophe
local. Tout au long des chemins il y a des petits sanctuaires rouges. La
tradition veut que les gens accrochent un bandeau rouge à leur véhicule et laissent en offrande quelque chose de rouge
dans les petits sanctuaires. C’est souvent des bouteilles de bières ou des
cigarettes. Pour remercier le saint, les conducteurs klaxonnent souvent 3 fois
en passant devant. Alors oui c’était un joli lieu pour dormir, mais un peu
bruyant quand même…
Bénédiction de Fran sous ma selle. |
Le jour suivant devait être un jour merdique. J’étais sensé
continuer un bon bout sur une route provinciale dangereuse avant de rejoindre
un chemin tranquille de campagne. Il faut savoir que si une voiture ou un
camion dépasse un autre camion, ou que deux camions se croisent à ma hauteur, ça
ne me laisse aucune chance sur la route et je dois me rabattre dans l’herbe. Et
forcément la loi de Murphy veut que les camions se croisent TOUJOURS à ma
hauteur. C’est moralement fatiguant car
je dois constamment garder un œil sur mon rétro et toujours éviter la collision
en braquant le guidon sur le côté, qui a pour effet de me faire perdre tout mon
élan et de me secouer dans tous les sens.
Le coup de la « mourchette »
Une fois à Saladillo, j’ai pour seul objectif de la journée
de me procurer une fourchette. Je m’arrête dans un supermarché mais n’en trouve
pas. Je demande au gars du magasin : « Vous n’avez pas de mourchettes? »
(fourchette en espagnol c’est « tenedor » mais j’arrive jamais à m’en
rappeler et dans ma bouche ça sonne plutôt comme « contendor » ).
Après mes gestes dans tout les sens le gars me comprend et m’envoie dans un
autre commerce un peu plus loin. En chemin, un type en moto roule a ma hauteur
et me crie : « Tu viens d’où ? T’as besoin d’une douche ?
D’un maté ? Ma maison est juste là à droite. Suis-moi ! ».
Le type c’est Norberto et je passerai la moitié de l’après midi avec lui et sa
famille.
Noberto, c'est celui du milieu. Au cas où. |
Norberto travail dans la construction et vit depuis toujours
à Saladillo. Sa fille m’explique que c’est rarissime que des étrangers passent en
ville. Alors quand ils en voient, ils en profitent au maximum. J’ai eu le droit
à la séance photo, la présentation aux voisins et au téléphone d’une
journaliste pour passer dans leur journal régional. Finalement cette journée
n’aura pas été aussi merdique que ça. Et en plus je quitte la ville avec un
cadeau de taille : une fourchette !
LA fourchette |
Je continue ma route jusqu’à Azul ou je m’y repose 2 jours. Au
camping je fais la connaissance de Juan-Pedro, un vieux monsieur à 3 dents qui
voyage aussi jusqu’ à Ushuaia mais en faisant du pouce. Il fait ce voyage 2
fois par ans pour se « vivifier l’esprit ». Il me donne de précieux
conseils pour la suite du voyage et ira même jusqu’à enregistrer un monologue
de 45 minutes sur mon téléphone au sujet des routes, de l’architecture et des
stations services que je vais rencontrer avant le bout du monde. Et puis il m’a
aussi dit: « Tu sais, tu vas devoir faire plus de 1000 km pour traverser le
nord de la Patagonie et le paysage ne changera pas. C’est un désert de pierres et
il n’y a rien. Ni montagnes, ni lacs, ni villes. Absolument rien. En vélo ça te
prendra 2 semaines. En camion 10 heures. Réfléchis bien. »
Et c'est toute la journée comme ça. |
En sortant d’Azul, pour la première fois le vent s’est levé.
Il a fait baisser la température de 10° degré en une seule journée. Là j’ai
vraiment galéré. Je n’étais pas préparé à affronter le vent si vite, ni le
froid d’ailleurs. Il ne souffle pas très fort mais il est constant et surtout,
de face. Le véritable problème arrive au moment ou je croise des camions. L’aspiration
d’air qu’ils trainent derrière eux a pour effet de me balancer un mur de vent
qui bien souvent me stop net sur la route. Plusieurs fois dans la journée j’hésite
à sauter dans un pick-up pour rallier mon étape du soir. Et puis non ! C’est
toi qui l’as voulu ce voyage alors tu serres les dents mon petit Cristobal et
hop hop hop tu te motives.
Azul |
C’est la dernière journée avant Bahia Blanca qui aura été la
plus marquante. Vent dans le dos, paysage désertique, du RELIEF, des perroquets
verts sortis de nul part, des gens sympathique et mine de rien, 130 kilomètre d’une
traite. C’est pas si mal le vélo finalement…
Histoires brève
- Les stations services, c’est toujours un peu l’occasion
de faire la fête. Comme les distances sont longues entre les villes, c’est un
point de rencontre important. Elles ont souvent des douches, un restaurant, des
canapés et un supermarché. Et comme la moitié des chauffeurs présents m’ont
croisé sur la route, j’ai toujours le droit à 26 milles questions.
- Il neige depuis un mois à Ushuaia. Ha ha ha. Merde.
-Un jour que je me détendais dans une super
station service de luxe, un monsieur, la quarantaine, est venu vers moi et m’a
demandé si j’avais besoin de quelque chose. Je réponds par la négative et il me
dit d’un air préoccupé : « Je t’ai croisé sur la route ce
matin, je t’ai frôlé de près. Alors au
nom de tout les camionneurs, je tiens à m’excuser parce qu’ici nous n’avons lamentablement
pas le respect pour le cycliste sur la route. Si tu as un problème, voici mon
numéro de téléphone et mon adresse. Tu es le bienvenue chez moi si besoin ! »
- J’ai mal aux jambes.
- En arrivant à l’office de tourisme de Lobos, la
dame de la réception m’a dit « C’est trop génial ce que tu fais, attends j’appelle
les gens de la radio, ils viendront te voir cet après midi au camping ».
La radio est venue. Mais moi, je dormais.
- Après les glaçons dans le vin blanc, j’ai vu à
plusieurs reprises des gens mettre des glaçons dans du vin rouge. Du vin ROUGE.
- Je me suis retrouvé un après midi avec une bande
de 15 motards. Du genre moustache, gros bidon et tatouages. Ils hallucinaient
que j’aille jusqu’à Ushuaia en vélo. Ils m’ont dit : « Toi t’es un
héros. Quand tu seras en terre de feu et que tu as des problèmes, contacte les
Lobos de Tiera del Fuego, ils viendront toujours t’aider. » Yeah, rock and
roll nene !
- Demander une direction ou une distance à quelqu'un
c’est une loterie. La personne va de toute façon te répondre quelque chose même
si c’est pas du tout ça. Si je demande mon chemin et que le gars en face
réfléchi plus de 3 secondes, je suis foutu.
- Au kilomètre 347.29 j'ai perdu la pièce sur la roue qui permet de calculer les distances et ma vitesse. Comme cette pièce est introuvable ici sans remplacer totalement mon systeme de compteur j'ai décider de pas la remplacer. Tant pis pour l'affichage 10'000km au bout d'une année. Le point positif c'est que je ne désespère plus quand je vois affiché "7km/h" et que je donne déjà tout ce que j'ai.
- Au kilomètre 347.29 j'ai perdu la pièce sur la roue qui permet de calculer les distances et ma vitesse. Comme cette pièce est introuvable ici sans remplacer totalement mon systeme de compteur j'ai décider de pas la remplacer. Tant pis pour l'affichage 10'000km au bout d'une année. Le point positif c'est que je ne désespère plus quand je vois affiché "7km/h" et que je donne déjà tout ce que j'ai.
Sur l'autoroute, le panneau il dit non. Mais la police elle, elle dit oui. |
On se quitte avec un peu de Bahia Blanca :
Voilà c’est tout pour aujourd’hui.
Prochaine grande étape : Puerto Madryn !
TCHO